Bruno Di Rosa né à Lyon en 1960

1991 Institut des Hautes Etudes en Arts Plastiques. Paris 1988
Diplôme des Beaux Arts. Lyon

 





Le sujet et le verbe, son complément :
autour de l’œuvre de Bruno Di Rosa


Conférence de Jean-Claude Conésa
Docteur en histoire de l’art, chargé de mission à l’inspection Générale de l’Enseignement Artistique à la Délégation aux Arts Plastiques.

Prononcée à la Bibliothèque Municipale de Lyon

Prologue : Quelques points de méthode.

L’œuvre de BDR offre deux modes d’approche possibles qui ne sont pas nécessairement complémentaires ni forcément opposés.
Ceux-ci mobilisent des propriétés dont on ne sait si l’on doit les mêler ou les dissocier.
L’une de ces approches consiste donc à savoir, avant toute analyse, s’il importe de convoquer des fonctions critiques qui nous permettront de contenir dans deux ensembles distincts ce qui relève de la critique d’art ou de la critique littéraire.
La seconde se propose de mettre en œuvre un regard dominant embrassant les deux conduites -littéraire et formelle de BDR. Au risque certain de tirer l’écriture vers le chemin de la forme et d’assigner la forme à la résonance littéraire.
D’une certaine manière cet exercice grâce à l’œuvre de BDR interroge la souplesse du champ esthétique qui s’offre à nous, sa plus ou moins avouée solidité disciplinaire et sa capacité à recevoir et accepter des critères issus de deux mondes culturellement et techniquement différenciés.

I. ENTREE EN LITTERATURE

a. entrée en matière

Tout lecteur est nécessairement aux prises avant de s’engager dans sa lecture, avec la matérialité du livre qu’il tient dans ses mains : son aspect, sa taille, son poids, le nombre de pages, sa compacité visuelle, la qualité du papier, les polices de caractère, les interlignes etc. 
Cette matérialité peut avoir des incidences sur la lecture elle-même, sur la concentration requise, sur le rythme de parcours du regard sur la page.
Lire c’est s’ouvrir à une certaine matérialité, à une immanence de l’écrit et de son support. Un livre publié chez José Corti n’est pas comparable à un livre publié chez Fayard, de même qu’une réédition du Cerf ou de Aubier ne peuvent être confondues avec un ouvrage reproduit par procédé photomécanique dans la collection TEL.
Il en est de même des journaux, de leur format, de leur odeur, du bruit qu’ils font quand on tourne leurs pages. Dans le compartiment du train1 que j’emprunte régulièrement, je reconnais sans le voir, juste au bruit du journal qu’il manipule un lecteur de Libération, du Monde, du Figaro ou du Progrès. La qualité du papier, l’épaisseur plus ou moins importante de l’encre d’imprimerie, les pages au format plus ou moins aisé à tourner modèlent le fond sonore de toutes ces petites perceptions participant à la construction physique d’un quotidien.
Elles nous renseignent aussi sur la manière dont l’information est traitée et l’on imagine que la nature du support influe inévitablement sur la pertinence et la qualité des analyses des journalistes.
Ces journaux, hors de leur objectif premier d’information ont en réserve des fonctions secondaires : emballage d’objets fragiles (œufs, vaisselles, bibelots…), allume-feu (cheminées, barbecues) ou sont requis pour participer à des travaux d’artistes ou figurer dans des expositions. C’est ainsi que le quotidien de la région Rhône-Alpes a depuis longtemps fait ses preuves comme auxiliaire d’emballage d’objets2, que Libé emballe plus ou moins ses lecteurs, que le Figaro est mieux à même de démarrer un feu et que le Monde peut s’enorgueillir d’être partie prenante d’installation chez Mario Merz dans laquelle les journaux mis en paquet sont censés figurés l’histoire événementielle. Mais Le Monde, à force de s’imaginer devenir le Wall Street journal - il est déjà le New York Times – risque d’être un jour ou l’autre compissé par de jeunes coyotes d’inspiration postbeuysiennes.
L’artiste italien, Luciano Fabro, s’est, pour sa part, servi de journaux pour protéger un sol fraîchement nettoyé, en tant qu’expression tautologique du sol, redoublant, à l’instar de Carl André, l’horizontalité du plan.

b. La matière du livre

Si j’insiste sur cette approche matérielle des supports de l’écrit sur l’utilisation triviale ou esthétique des journaux, c’est que chez BDR le nombre d’éléments qui composent et influencent habituellement la lecture est bouleversé autant par le récit que par sa mise en œuvre physique et matérielle. Pourtant, ses livres ont un format familier, ils ont la même charte graphique, leur couverture est sobre, ils sont soit collés ou agrafés selon le nombre de pages, leur titre est lisible mais ils ne portent pas de nom d’auteur ; celui-ci est rejeté en quatrième de couverture avec son adresse. Ces livres sont donc des livres, néanmoins lorsque vous en tenez un dans les mains, les sensations de lecture sont différentes d’un texte à un autre.
Prenons par exemple le livre intitulé Nicolas qui raconte l’histoire d’un petit garçon qui bégaie ( nous reviendrons sur cette allégorie fondatrice).
Le texte est porté par la difficulté d’énonciation du jeune héros. L’écriture du récit se ressent de cette construction verbale chaotique. Le promoteur de l’action, Nicolas, cherche pendant quelques pages son rythme narratif3 puis semble progressivement le trouver, ce que suggère la taille des paragraphes de cinq lignes, en moyenne. Leur régularité, bien dessinée, par des espaces blancs formant des blocs compacts, contraste avec le handicap élocutoire de Nicolas souligné par l’enchaînement consolidé des mots dans la phrase et leur développement en cantilever.
La régularité visuelle du récit stabilise la conscience malheureuse que Nicolas éprouve de sa réalité affective et sociale, coincé entre ses aventures intérieures et amoureuses aux accents de merveilleux et une mère possessive, rongée par la culpabilité. Finalement, le héros du récit est sauf.« Enfin, il (Nicolas) a pris conscience du temps » (…) « Combien de temps mettra-t-il pour ne plus bégayer ? « Qu’importe, la voix s’est mise en œuvre, désormais, Nicolas sait qu’il peut parler. »
Si Nicolas prend conscience du temps c’est que le lecteur a en quelque sorte participé à ce dévoilement car l’absence de foliotage du livre participe à l’absorption physique du lecteur, à sa dévoration par le récit du petit garçon bègue. Habituellement, le nombre de pages lues tenu entre les doigts permet de jauger intuitivement de l’épaisseur du volume de pages restant à lire mais ici cette sensation ne peut trouver l’expression de son intuition car l’absence de pagination participe à l’effet de sur place du petit héros bègue et donne le sentiment d’un livre sans dénouement, à l’horizon incertain.
La matérialité du livre et sa composition visuelle contribuent comme la narration à sceller le sort de Nicolas dans la langue elle-même, elles permettent de construire le récit et le sujet de ce récit. La langue ici correspond à une conquête de l’émancipation du sujet sur le monde concret mais cette émancipation n’est possible qu’à la condition de maîtriser la manière dont il faut nommer le monde et fondre son histoire dans la sienne. C’est pourquoi le texte s’organise comme la construction d’un pont qui par son avancée permet d’atteindre une autre rive. Les phrases qui composent le récit de Nicolas et le font progresser sont comme des structures auto-portantes. La stabilité conquise sur l’énonciation du monde trace le chemin de l’émancipation du héros. Si l’absence de pagination est une caractéristique des livres de BDR, elle trouve avec ce livre une densité symbolique forte, dans la mesure où elle combine une réalité romanesque qui s’élabore sur un réel se dérobant à sa propre nomination et un livre qui se soustrait à une progression matérielle repérable4.
Après avoir vu comment le récit Nicolas est amplifié par la matérialité du livre et par sa fabrication, nous allons voir maintenant de quelle manière s’effectue l’entrée en littérature de BDR.

c. Recopier Flaubert/ s’effacer.

On se souvient que Robert Rauschenberg un jour alla voir, l’artiste américain Willem Dekooning pour lui demander un dessin. W. D. était alors à l’apogée de son art et jouissait d’une réputation et d’une autorité immenses. Intrigué, De Kooning s’informe de l’usage de ce dessin, et Rauschenberg lui avoue qu’il souhaite l’effacer. De Kooning cherche alors un dessin auquel il tient tout particulièrement et le donne à Rauschenberg.
De Kooning est pour Rauschenberg un Maître et celui-ci tente de porter des coups à l’intérieur même du système du dessin qui, pour De Kooning, est doté d’une valeur exceptionnelle5.
Rauschenberg ne peut ignorer que le geste d’effacement qu’il fait subir au dessin est en quelque sorte originel à l’acte de dessiner. Le repentir diffère de l’effacement en ce sens qu’il se veut d’une certaine manière visible, il appartient presque à l’iconographie habituelle de l’art. Tandis que l’effacement est profondément lié à l’intimité de la création, il lui est inhérent, tout en restant en dehors des catégories recensées de la pratique artistique.
Rauschenberg connaît la place qu’occupe De Kooning et l’effacement qu’il effectue est aussi une manière de rayer de la carte une existence constitutive du réel de l’art. Art qui se trouvera modifié par le fait que le dessin de De Kooning devient Erased De Kooning Drawing, en portant éternellement la trace de son effacement.
Rauschenberg ne fait pas un acte de destruction ou d’anéantissement, comme lacérer un tableau par exemple (d’ailleurs Rauschenberg dit lui-même que l’effacement d’un dessin de Rembrandt aurait été interprété comme un acte nihiliste, négateur de l’art), il fait plutôt un acte de substitution, il prend la place de De Kooning dans la chaîne signifiante de l’art. L’effacement est une opération de transfert qui non seulement évince l’idée mais congédie l’intimité du moi créateur, car l’effacement rend sensible la dynamique créatrice du dessin. Le dessin effacé n’est pas autre chose qu’une Gestalt, une forme qui structure le Moi de Rauschenberg.

En recopiant Flaubert, BDR ne cherche naturellement pas à effacer Flaubert mais à s’effacer en le restituant avec le plus d’humilité possible, humilité qui n’est autre qu’admiration et application à rendre à la virgule près le texte originel.
Cette forme d’invisibilité derrière le maître, BDR, y accède à sa manière en opérant presque mécaniquement son entrée en littérature par un travail où il apprend à écrire sans réfléchir : «  ce qui n’est pas facile, écrit-il, mais cela me semble être indispensable pour écrire »
Le recopiage de Madame Bovary qu’il entreprend est de l’ordre de la dette «  je pensais qu’en recopiant son texte, je lui rendais en quelque sorte, ce qu’il m’avait donné ».
Mais ce travail est aussi dépris de l’influence de l’auteur, une façon de reprendre à la lettre sa création, en se glissant dans ses pas. Il ne s’agit cependant pas d’être l’ombre de Flaubert, mais simplement de restituer à partir du texte publié une lecture pas à pas. On peut voir à la Bibliothèque Nationale de France sur un manuscrit de Flaubert ce lapsus oedipien «  tu assassineras ton père et ta père » qui s’acharne à défaire par un geste assassin le père à la fois de sa place de patriarche et de mâle6.
Mais BDR ne cherche pas à tuer le père même symboliquement, si le « signifiant du nom du père » (en tant qu’auteur de la Loi) est, chez Lacan, lié à sa mort, pour BDR, un tel meurtre est ce « moment fécond de la dette par où le sujet se lie à la Loi ». BDR, par le recopiage, laisse intact l’origine du nom du père. L’acte d’effacement qu’il s’applique, c’est le travail appliqué de recopiage en s’appliquant à lui-même la loi de son propre effacement.
Recopier à la main Madame Bovary, c’est se séparer du texte fondateur du sens et faire sens de la lettre qui, littéralement, devient assemblage, lien, mouvement d’une circulation. La graphie manuscrite montre bien que chaque lettre comprend dans son tracé même une accroche qui appelle d’autres lettres à sa suite. La lettre est toujours l’amorce d’un mouvement qui va vers un autre élément, différent avec lequel elle établit une relation.
Si la lettre permet la circulation du sens, ce n’est plus parce qu’elle serait traversée par un sens transcendantal qui lui serait extérieur, ni parce qu’elle se présenterait comme un morceau de sens figé. Pour lire la lettre, il faut déplacer son regard, de lettre à lettre, pour déchiffrer les liens par lesquels elle prend sa fonction de signifiant dans une chaîne : « lier et lire, c’est les mêmes lettres, faites-y attention, dira Lacan. » 7. Ici, l’écriture met à jour le caractère inaccessible du réel comme tel8. Madame Bovary, texte qui donna tant de peine à Flaubert, tant de travail et de souffrance le conduisait à revendiquer in fine l’impersonalisation comme gage de la victoire9.
Il n’est qu’à voir le texte original manuscrit saturés de scories, ratures, additions marginales, corrections interlinéaires, tracés disloqués et presque picturaux pour admettre l’inaccessibilité de la gloire au paresseux. Mais l’écriture modelée sur le texte flaubertien continue de désigner inlassablement ce réel de l’écriture, à le poursuivre, au risque parfois de commettre la faute10 dans l’acte même de recopier et donc de faire tressaillir le sens, de déplacer la lecture, de conduire à la mésinterprétation et dans le meilleur des cas à la controverse. « L’inattention des scribes, dit à peu près une sentence juive, agrandit la science ».

II. LA LITTERALITE

a.Moïse, la naissance du sujet/de la Voix à la Lettre

On sait que l’orthographe a été pendant très longtemps flottante et qu’elle fut laissée à la discrétion des ateliers d’imprimerie. Elle connût son pic de flottement notamment entre le XIII° et le XVI° siècle, Du Bellay dont nous reparlerons en fût victime. Mais ces fautes ont produit des variantes et non des contresens. Il n’en est pas de même d’un obscur copiste11, qui suivant en cela fidèlement le texte de la Vulgate et notamment l’épisode de la Bible dans lequel Moïse reçoit de Dieu, les Tables de la Loi, avait par erreur remplacé « visage rayonnant » conatus facies par cornatus facies, c’est-à-dire « visage avec des cornes »12. Les cornes dont Moïse est affublé depuis, ont marqué la tradition iconographique et sont devenues avec le Moïse de Michel-Ange pointes du sublime. Cïse dont Freud tenta de résoudre le mystère est montré par Michel-Ange dans l’instant où, se ressaisissant, il dompte sa colère, retenant les Tables sous son bras et manifestant ainsi le triomphe de l’esprit sur la pulsion.
Moïse qui occupe une place privilégiée du point de vue de « l’inscrit-écrit »13 veut être entendu à la lettre, car le passeur de la Lettre ne doit ni rajouter ni soustraire quoi que ce soit à la Lettre. C’est ainsi que Lorsque Dieu a souci d’un manteau (Ex. 22 :25-26) le dépositaire de la Lettre, comme l’écrit Benny Lévy, « ne doute pas un seul instant que c’est d’un manteau que Dieu a souci ; que cette manière de Dieu de se faire petit est précisément ce qui rend possible la grandeur humaine. (…). » A la patience fidèle de l’homme de la Lettre s’opposent l’empressement et le zèle de l’allégoriste. Aucun décalage ne saurait être supporté : le signifié, qui est de l’ordre de l’esprit, ne saurait s’accomoder d’une bigarrure dans le signifiant14. Flaubert et Moïse incarnent l’un et l’autre le Logos (avec un « L » majuscule), l’un le nom imprononçable de Dieu et l’autre l’inaccessible de la littérature à qui la dette (terme biblique s’il en est) sera payée par l’artiste littéral. Mais la littéralité qui, ne peut l’être jusqu’au bout, ne serait ce que par l’écart que le jeu de la transmission produira inévitablement deviendra logos (« l » minuscule) c’est-à-dire discours, parole.
Moïse en voyant la voix (le buisson ardent est la manifestation de la parole divine révélée), établit que la parole de Dieu dans la collusion qu’elle marque sans jeu entre le signifiant et le signifié, et sans écart entre le visible et l’invisible, triomphe de toutes les autres paroles par son indivisibilité. Moïse, c’est la genèse du sujet avant celle que Hegel discernait avec Œdipe (« Œdipe triomphant du Sphinx, c’est l’esprit qui devient sujet, en se désignant lui-même »).15 Avec Moïse, Dieu et ses lois sont rendus à l’activité humaine. Moïse est donc passeur exigeant, et Flaubert assume dans l’ordre du littéraire la même fonction de passage, il transmet avec la Bovary les lois de l’écriture par excellence. Ici le Verbe fait naître le Sujet. « Mme Bovary, écrivait-il, n’a rien de vrai. C’est une histoire totalement inventée. Je n’y ai rien mis ni de mes sentiments ni de mon existence. L’illusion s’il y en a une vient au contraire de l’impersonnalité de l’oeuvre. C’est un de mes principes, il ne faut pas s’écrire, l’artiste doit être dans son oeuvre comme Dieu dans la création : invisible et tout puissant ; qu’on le sente partout mais qu’on ne le voie pas.» 16 .  L’écriture est donc à la fois le lieu où le réel se rate, mais aussi « le lieu privilégié où se révèle la dimension du Réel comme impossible ».
En écrivant, le sujet est confronté au Réel, dans l’acte de le manquer. Dans la genèse du sujet, l’écriture a donc en quelque sorte une fonction complémentaire à celle de la parole. « Pour l’écrivain, écrit Barthes, la responsabilité véritable, c’est de supporter la littérature comme un engagement manqué, comme un regard moïséen sur la Terre Promise du réel (...). »17
La grande considération dans laquelle BDR tient l’écriture nous oblige à penser que son rapport à la lettre est dans sa restitution plutôt que dans son vol.
Mais cette restitution ne va pas nécessairement de soi. Le chemin qui va de la lecture du texte à sa restitution écrite emprunte, par souci littéral, des chemins tortueux et douloureux dont les fautes d’orthographe traduisent littéralement l’écart entre le texte-maître et la copie de l’élève. Si les cornes sont, en identifiant clairement le Moïse, non seulement le fruit d’une erreur de traduction commise sur la manière dont le divin se révèle et la puissance de l’Esprit se manifeste, le bégaiement dont Moïse est affublé n’est pas non plus le moindre des attributs du Sujet à qui est transmis le Verbe de Dieu. Ce biblique bégaiement que l’on ne peut dissocier du souci de restituer la Lettre du texte, rien que sa lettre montre aussi la conscience aiguë de l’impureté de toute restitution. De la même manière si l’accession à l’écriture chez BDR ne peut se faire qu’en reprenant pour s’en dessaisir ultérieurement la voie flaubertienne, de même le bégaiement, tel qu’il le pense et le revendique, assume dans le domaine de la parole une profondeur symbolique : celle d’un sujet non seulement asservi au langage comme structure, mais encore préalablement, à la réalisation du langage dans le discours lui-même.

b. Le défaut de langue/le défaut de la langue : Kaddish et Les regrets

« Si je n’ai jamais bégayé, écrit BDR, en revanche j’ai toujours fait des fautes d’orthographe ».
Attesté par Martin Buber et par Freud18, l’origine hébraïque du noïse est Mosché, lui-même venant de Mosé qui, en égyptien, signifie enfant. L’infans est celui qui ne sait pas encore parler. L’enfance est autant un âge, donc une relation au monde qu’une période de la vie. En montrant comment s’achève, à travers l’Œdipe, l’entrée de l’infans  dans ce monde symbolique où il est assigné comme sujet, la psychanalyse a révélé que l’individu est l’effet d’une structure sociale – cette dernière étant non la structure de telle ou telle société historique particulière, mais la structure du social comme tel ou, si l’on préfère, son « essence ». En apprenant à parler, le sujet passe du stade imaginaire, où il ne se différencie pas vraiment de l’autre, à la dimension symbolique du langage, qui le constitue comme sujet.
On peut dire que la littéralité, en tant qu’elle tente de garder désespérément vivant son modèle et ne peut s’affranchir de l’imaginaire, est aussi une production de l’enfance. Le nœud qui se fait entre le symbolique, le réel et l’imaginaire conduit à un excès de littéralité, à une sorte de folie, de degré premier qui ne s’arrache jamais de son objet, qui le colle (celui-ci ne faisant qu’un avec sa perception).
Le bégaiement de Moïse affirme le combat qu’il mène pour se tenir à distance de Dieu et ne servir que lui. Transmettre la Parole de Dieu, le Logos, c’est ne pas en faire trop, mais faire le mieux possible. Le bégaiement manifeste ici le trouble qu’assume celui qui fut désigné pour incarner la Voix. La littéralité complexe qu’assume BDR dans son livre Nicolas est de présenter à la fois une écriture qui se divise, se subdivise, se répète, et de rendre compte du travail qu’elle accomplit pour assumer un certain être de l’écriture. Mais le bégaiement est aussi une expression de la littéralité du réel dans la mesure où le mot manqué devient du réel à son tour et doit être repris comme tel.

III. LE SUJET ET LE VERBE

a. les Regrets de Du Bellay ou comment passe-t-on de la lettre à la voix

Le bègue apparaît chez BDR comme une figure fondamentale incarnée par deux oeuvres : Nicolas, et le lecteur des Regrets. Si le Sujet chez Lacan n’est rien d’autre (…) que ce qui se glisse dans une chaîne de signifiants 19, le bègue, quant à lui, entre en scène dans la langue en glissant de signifiant en signifiant. La langue lui ménage quelques passages mais pour mieux le faire glisser, à charge pour lui de reprendre l’ascension de la face lisse du signifiant. Le bégaiement marque un rapport incertain au monde, fragile, peu assuré parce que les mots n’accrochent pas aux choses. D’ailleurs, le chemin d’accès au réel reste problématique, car il faut tenir l’espace d’énonciation qui sans cesse tremble et se lâche.
Mais quel rapport la voix du bègue lisant les Regrets entretient-elle avec l’écriture de Du Bellay ? Valéry écrit : «  Longtemps, longtemps, la voix humaine fut base et condition de la littérature. La présence de la voix explique la littérature première, d’où la classique prit forme et cet admirable tempérament. Tout le corps humain présent sous la voix, est support, condition d’équilibre de l’idée… Un jour vint où l’on sut lire des yeux sans épeler, sans entendre, et la littérature en fut tout altérée. Evolution de l’articulé à l’effleuré, - du rythmé et enchaîné à l’instantané, - de ce que supporte et exige un auditoire à ce que supporte et emporte un œil rapide, avide, libre sur la page ».
« Je me plains à mes vers, écrit Du Bellay, si j’ai quelque regret/Je me ris avec eux, je leur dis mon secret, / Comme étant de mon cœur les plus sûrs secrétaires./ Aussi ne veux-je tant les peigner et friser/Et de plus braves noms ne les veux déguiser/Que de papiers journaux ou bien de commentaires. »20. Du Bellay a le souci de rester simple et cette simplicité poétique, hors de certaines licences qu’il s’autorise, est à l’égale de la vérité nostalgique qu’il célèbre. De la même manière qu’il veut rester à la lisière du lyrisme, il ne puise son inspiration que dans la relation expérimentée du réel d’où ce sentiment qui fait se confondre en lui l’exercice de la poésie avec le temps perdu «  le meilleur de l’âge est en vain consumé en de stériles et ingrats ouvrages ».
«  Je n’écris point d’amour, n’étant point amoureux/Je n’écris point de beauté, n’ayant belle maitresse/(…)/ je n’écris de bonheur, me trouvant malheureux/ (…)/Je n’écris de la cour, étant loin de mon prince, / Je n’écris de la France, en étrange province,/ Je n’écris de l’honneur, n’en voyant point ici… »21. Sa poésie est un « Nachtrag », un après-coup. Dans le cadre Des Regrets, elle n’est que l’après-coup de l’expérience.
Stylistiquement, la rigueur de la construction, la mécanique de la rime, sa logique interne organisent l’espace poétique et sont la structure même des Regrets. C’est en usant de cette « correction stylistique » que Du Bellay peut transmettre son sentiment, sa nostalgie car les souvenirs sont des blocs de temps qui apparaissent sans ordre, sans hiérarchie, confus aussi dans leur restitution mais que l’ordre poétique du sonnet s’emploiera à rendre homogène. A l’organique, au biologique, au vivant, à l’amour, à la chair, à ces objets corruptibles et douloureux s’oppose son imperturbable raison philologique. La langue poétique en articulant différents mondes et en leur donnant une consistance stable doit pour cela tordre la langue écrite «  Circe » pour « Circé »22 ou « Harpies » avec trois syllabes23 et la rendre rimiquement compatible. Faire lire les Regrets de Du Bellay par un lecteur qui dérape sur le présent revient donc à inscrire la langue poétique à la lisière d’un passé préparé (comme on le dit des Pianos préparés de John Cage), l’instabilité de la langue ne faisant qu’accroître l’instabilité de l’être.
Dans la mesure où ce qu’il dit est toujours interrompu par ce qui reste à dire, le bègue, ne croit pas que ce dont il parle est présent, consubstantiel à sa parole. Ce doute à l’égard de sa propre présence vient de la vacillation de son propre savoir comme possibilité d’advenir en tant que sujet. Le présent est une incessante recomposition, reconstruction. Ce présent doit pour être saisi et transformé, être comme passé. Le bégaiement s’interprète en une longue suite de ratés qui ne s’effacent jamais. Leur accumulation met d’ailleurs à mal la netteté du sens, comme un palimpseste qui garderait toujours à chaque réécriture, l’épaisseur d’un passage du temps. Le bégaiement s’institue d’un inimaginable échappement de toutes attaches originelles24.
Mais cette lecture en associant le handicap élocutoire aux Regrets montre littéralement qu’une parole est une séparation divisant la réalité du réel. Mais cette séparation, que mime et répète le déséquilibre obsédant entre le sensible et l’intelligible est probablement similaire au moment qui inaugura le désenchantement du monde.

b. Kaddish et Ginsberg25.

Autant les Regrets semblent sculptés et retravaillés par la machine rhétorique, autant Kaddish de Allen Ginsberg semble appartenir à cette Hylé, à cette matière sans forme qui ne trouve son expression que dans un flot poétique violent, impudique et irrépressible.
Le Kaddish, dans le culte hébraïque, est associé à la séparation et au deuil. Prière de louanges à Dieu récitée à différentes reprises à la synagogue par des hommes en deuil, ce n’est pas à l’origine une prière pour les morts. Le contenu du texte ne fait aucune référence à la mort mais il constitue une consolation pour les affligés en ce qu’il exprime acceptation du jugement de Dieu et espoir en la venue du Messie. L’oeuvre de Ginsberg a été écrite en 1961 pour Naomi Ginsberg sa mère.
Devenue folle sept avant la naissance du poète en 1926, paranoïaque se croyant persécutée, Naomi était convaincue que sa belle-mère tentait de l’empoisonner ou que le président Roosevelt lui avait mis des fils électriques dans la tête pour lire ses pensées intimes ( Kaddish, p. 73). Internée trois ans pendant l’adolescence de Allen, elle revint amnésique à la suite d’électrochocs et de différents traitements. « J’allais la voir seul, écrit Ginsberg, dans des hôpitaux psychiatriques : d’immenses prisons, tristes et crasseuses ». La maladie de la mère dans les années trente se révéla coûteuse et contraignit le père à faire de nombreux emprunts. Ces épreuves contribuèrent à la politisation de la famille Ginsberg, Naomi devint secrétaire de section de la cellule du parti communiste de leur quartier. « La folle du parti » comme elle fut surnommée mourût en juin 1956.

Poème dont la plus grande partie fut écrite dans une explosion de quarante heures d’écriture ininterrompue, Kaddish exprime le souffle poétique de l’hommage d’un fils à sa mère.
La lecture faite par BDR de ce magnifique poème dans un américain poussif, hésitant, souvent fautif est à replacer dans le dialogue avec une autre voix, celle du jeune adulte bègue, à laquelle la lecture faite par BDR fait écho. Cette récitation volontairement douloureuse de Kaddish doit s’entendre comme une sorte de rédemption vis-à-vis de la lecture des Regrets par le jeune homme bègue. Cette lecture a été motivée par le souci d’exprimer physiquement et intellectuellement une incompétence (en relation avec les lectures vociférantes de Ginsberg et la connaissance très sommaire que BDR a de la langue anglaise). Il me semble que la proximité avec Du Bellay va plus loin que le désir de marquer sa propre insuffisance. Du Bellay dans ses sonnets hésite aussi, bute sur la postérité et l’aisance. Il se met tout naturellement au second rang : «  Aussi ne veux-je tant les peigner et friser et de braves noms ne veux les déguiser ».26 Happening de l’humilité et du rachat, cette installation sonore d’une lecture à deux voix de deux textes différents répond à un défaut d’assurance et à la dérive à laquelle conduit parfois certaines expérimentations artistiques. Ce qui fait dire à BDR : «  Lorsque j’ai écouté l’enregistrement des Regrets, j’étais très content et j’avais hâte de le faire entendre, mais j’ai pensé que l’on pourrait me soupçonner de me moquer du bègue, aussi j’ai voulu m’impliquer personnellement et c’est ainsi que j’ai enregistré cette lecture de Kaddish en anglais, alors que je ne parle pas anglais ». BDR se sent vraiment débiteur, au sens littéral et figuré étant affecté d’un débit oral peu compatible avec la lecture à haute voix d’un texte anglais. S’il est vrai que les discours que les individus incarnent sont autant d’histoires singulières, différentes les unes des autres, ils sont aussi ceux d’existences imprévisibles.
Cette écriture dont le bègue est l’incarnation n’est-elle pas horrifiée par le vide qui la guette et qui par crainte s’enregistre elle-même en se piétinant. Mais Nicolas bégaie-t-il vraiment ? N’est ce pas plutôt l’espace extérieur qui répète à l’infini la banalité de sa réalité et comme l’a si bien montré Jacques-Henri Michot dans son ABC de la barbarie  « constitue une masse étouffante, mortifère (…) qui a coup de stéréotypes, bloque, écrase la pensée » 27.

IV. LES FIGURES DE LA LITTERALITE

Les formes privilégiées par BDR tracent une géométrie rigoureuse : le cercle, le polygone, le signe Y et les petits carreaux. Chacune de ces figures portent des contenus différents. D’ailleurs, il ne peut y avoir de formes ainsi dessinées sans une adresse précise. Le cercle convient aux promenades, la forme polygonale épouse la généalogie mythologique, le Y se confond avec la poésie et les petits carreaux guident l’écriture.

a. Le cercle28 (Les Rêveries).
La première image qui s’impose face à la pièce consacrée aux Rêveries est celle d’une bobine de film de cinéma.
Le cercle renvoie à la promenade parce que le texte qui lui donne consistance a pris forme d’une ligne qui ne s’arrêtera qu’avec la dernière phrase de la dixième et dernière promenade des  Rêveries : « et je résolus d’employer mes loisirs à me mettre en état, s’il était possible, de rendre un jour à la meilleure des femmes l’assistance que j’en avais reçue ». Cette phrase qui se trouve cellée au cœur du cercle appartient aussi au vocabulaire de la dette déjà évoquée avec le recopiage de Mme Bovary.
Rousseau a été un des premiers dans l’histoire des lettres à avoir fait dépendre son destin d’homme de sa création verbale.
«  Réduit à moi seul, écrit Rousseau dans la Huitième promenade, je me nourris, il est vrai de ma propre substance mais elle ne s’épuise pas et je me suffis à moi-même quoique je rumine pour ainsi dire à vuide, que mon imagination tarie et mes idées éteintes en fournissent plus d’alimens à mon cœur ». L’image globale des Rêveries est l’involution. Selon Rousseau «  l’habitude de rentrer en (lui)-même, (lui) fit perdre enfin le sentiment et presque le souvenir de ces maux ». Le discours littéraire de Rousseau, chez BDR, se linéarise. Mais la linéarité n’est pas que le figurable du littéraire, il s’agit aussi d’instaurer au sein d’une écriture devenue comme l’écrit Pierre Bayard, «  le lieu d’une symbolisation d’une nouvelle reconnaissance des frontières du moi, site de la défusion et des retrouvailles », quelque chose qui échappe à la mémorisation et au discours, « qui est de l’ordre de la lacune et du blanc, et assure une transition entre moi et non-moi, perte et présence, intérieur et extérieur. »29
L’expérience intérieure vécue par Jean-Jacques, gagnée sur la folie : « Je n’ai plus que du foin dans la tête, » écrit-il  en 1765, est accompagnée jusqu’à son extrémité par BDR. D’autres circonstances, à l’origine du travail sur JJR, introduisent, dans le moment d’instauration littéraire, des déplacements et des écarts. Ainsi, BDR écrit, «  Rousseau raconte, dans un de ses ouvrages (il s’agit de la cinquième promenade) l’admiration qu’il a pour un auteur qui a fait tout un livre sur un zeste de citron et il avoue qu’il aurait aimé faire ce livre. C’est pour rendre compte de ce geste, régulier et dépassionné, de la main qui se donne et s’abandonne que j’ai fait ce travail… ». Ce « zeste de citron » donnera par déplacement, par substitution d’une lettre à une autre, ce « geste ». Un cheveu sur la langue, la langue qui fourche, une lettre modifiée ou parfois déplacée suffit à organiser une pensée, à ouvrir un sens qui lui-même brise sa propre organicité et ouvre sur un horizon qu’il faut alors conquérir. Le dessin que le texte-ligne forme (la galette d’écriture, le microsillon du promeneur au texte caché, le ruban télégraphique) est le résultat d’une recomposition littéraire lente et complexe.
La galette sombre des Rêveries est similaire à ces bandes de papiers sur lesquelles étaient imprimées aux temps héroïques de la communication à distance des messages télégraphiés. L’alternance de coups plus ou moins longs faisant sens, matérialisaient par la longueur de la bande, la densité du message. On pourrait imaginer un SMS de 400 mètres de long saturant le cyber-espace. D’ailleurs ce transfert de la page à la Línea continua, est non seulement mesure du temps mais aussi réflexion sur une économie politique du signe que BDR applique à son travail : «  Quand j’ai eu l’idée de découper un livre ligne à ligne, écrit-il, et de les coller bout à bout, j’étais à Milan.(…) il me fallait deux exemplaires similaires pour avoir le recto et le verso de chaque page (…) et dans la collection Garnier-Flammarion, celle qui n’a pas de notes, donc aucun petit numéro pour briser la longueur émouvante des lignes ; et qui a un tournesol gros comme un soleil en couverture ». Ed io anche sono pittore. Le texte (tissu), lui-même, trame narrative et chaîne signifiante est pris aussi dans sa littéralité, tenu par son étymologie archaïque.
Transformer le livre en ligne, le mettre en ligne, le découper soigneusement ligne après ligne, puis les coller sur une bande transparente, c’est faire passer la lecture du plan au déchiffrement horizontal, c’est transformer la lecture en pas à pas et retrouver le geste de l’herborisateur. 
BDR donne d’abord du large à la persécution dont souffre JJR, mais le texte ne peut échapper à sa surdétermination psychique involutive qui lui donne sa forme circulaire. BDR installe un panoramique spiralé de la solitude qui s’abîme et l’abrite ainsi de l’humanité hostile qui la menace.30 « Je vais devenir plante moi-même un des ses (sic) matins et je prends déjà racine à Motiers en dépit de l’Archiprêtre qui continue d’ameuter la canaille pour m’en chasser ».31

b. Mythes et sacré. (Tableau mythologique des familles les plus importantes de la mythologie grecque d’après la bibliothèque d’Aphodore).

La structure polygonale qui abrite l’inventaire quasi exhaustif de la mythologie grecque évoque un espace sacré, un mandala, qui se déploie vers les bords extrêmes du polygone avec une forte densité de noms serrés les uns contre les autres comme si la proximité de ces figures mythologiques témoignait, en se rapprochant du monde des humains, de l’infinie variété des souffrances subies et des violences accomplies. D’un seul coup d’œil nous survolons l’ensemble du dédale mythologique, car l’intelligence de toutes formes complexes inspirées plus ou moins du labyrinthe vient de ce que celles-ci pour être lisibles doivent être vues de haut, en plongée.
Cette mise à plat de la violence des dieux, cette mise en plis de la monstruosité criminelle offrent à l’inverse de la ligne rousseauiste, le plan mythologique. La force de cette représentation tient à la fois de la mise en œuvre de la complexité généalogique et la mise en espace qui en résulte, mais aussi de la compréhension des différents temps qu’elle suppose. Ainsi, les plages vides, surtout repérables près du noyau, témoignent de la recherche de filiation ou d’accouplement monstrueux qui doit donner naissance à une autre figure mythologique. De sorte que l’impression qui domine est surtout celle d’une quête infinie et patiente de tout ce qui peut s’affirmer comme manifestation du malheur et de l’impensé monstrueux, tératologique.
Mircea Eliade inventoriant les traits pertinents de la mythologie grecque voit en ses héros à la fois force et beauté mais aussi des traits monstrueux : taille gigantesque (Héraclès, Achille, Oreste), mais aussi très inférieure à la moyenne (Pélops) ; ils sont thériomorphes (Lycaon, le loup) ou susceptibles de se métamorphoser en animaux. Ils sont androgynes (Cécrops) ou changent de sexe (Tirésias), ou se travestissent en femme (Héraclès). En outre, les héros sont caractèrisés par de nombreuses anomalies ( acéphale ou polycéphalie), Héraclès est pourvu de trois rangées de dents ; ils sont surtout boîteux, borgnes ou aveugles. Maintes fois ils deviennent fous ( Oreste, Bellérophon, même l’exceptionnel Héracles lorsqu’il massacre les fils que lui avait donnés Mégare). Quant à leur comportement sexuel, il est excessif ou abérrant : Héraclès féconde en une nuit les cinquante filles de Thespios ; Thésée est renommé pour de nombreux viols ( Hélène, Ariane). Les héros commettent l’inceste avec leurs filles ou leurs mères, et massacrent par envie, par colère ou maintes fois sans raison aucune 32. «  Le mythe réalise à sa façon l’indivisible dans le divisé, il donne un corps à l’ineffable »33
BDR évoque à propos de ce travail, la notion de présent éternel. Il faut me semble-t-il prendre cette conception comme une ordalie, une mise à l’épreuve de notre propre temps indéfiniment reconduit, d’une complexion animale déplaçant tentaculairement ses périodes et ses laps.

c. Le Y : lettre de l’écriture ou la langue qui fourche

L’Y est définie, par le Littré, comme la lettre dont la queue est susceptible de recevoir l’ornement des paraphes ou bravoures alors que l’i final est trop simple et mal propre à cette fonction34. Cette forme qui apparaît quatre fois, trois fois dans des tailles différentes placée dans l’espace de la Bovary et une fois en tant qu’instrument de musique électrique est une forme étrange et il n’est pas surprenant qu’elle obsède et fascine BDR. Elle résume à ses yeux ( encore un y grec), écrit-il, « en un seul signe, toute l’idée qu’il se fait de l’écriture ». Cette lettre est la seule qui articule un son (i) et une langue (grecque). Sa parenté avec la terre des mythes est si évidente que lorsque cette lettre apparaît dans un mot, elle lui donne une autre dimension : plus technique, plus sophistiquée, plus proche qu’aucune autre du concept.
Fonctionnant par contamination sonore cette lettre, dans la langue française, se trouve absorbée par les sons environnants qu’elle modifie et perd sa grécitude. Précédée d’un a, elle donne à cet a le son d’un è, et garde celui d’i : pays, payer, etc. Lettre double, elle est aussi la lettre du lapsus, de la langue qui fourche.
Y de la mythologie en général, mais aussi Y de la mythologie personnelle. La lettre Y du nom Bovary en même temps qu’elle termine le nom de l’héroïne flaubertienne ouvre le destin BDR en tant qu’écrivain. Ce n’est donc pas un hasard si cette lettre figure dans l’environnement physique du livre recopié, de l’installation votive qui l’environne. Ce monogramme affiche la filiation de BDR à l’écriture, assure sa cohérence et en atteste sa naissance. La tortue des montagnes à partir de laquelle Hermès fabrique sa lyre est celle que Nicolas prend pour confidente.
La lyre est un instrument qui semble construit autour de la lettre qui lui donne sa forme. Le cratylisme qui, dans un célèbre dialogue platonicien s’évertue à faire correspondre le mot et la chose, trouve avec Valéry la fécondation poétique comme « hésitation prolongée entre le son et le sens ».
Le Y, parmi les lettres nouvelles qui augmentent les particules phonétiques de la poésie lettriste d’Isidore Isou, représente dans l’étage inférieur de l’alphabet le son du crachat (une sorte de peuh-pouah-ptiou ensemble).35
Signe de la bifurcation, la lettre Y est la possibilité du « choix » et signe du destin. Panofsky pour rendre compte allégoriquement du passage de la période médiévale à l’ère humaniste se référait à une gravure sur laquelle on voyait un homme sur un chemin bifurquant choisissant entre l’ange et le démon, cet homme étant l’humaniste de la Renaissance, tandis qu’au Moyen-âge l’homme était choisi par l’ange ou par le démon.
La lyre électrique présentée dans l’exposition par sa construction visuelle lourde devient un objet critique du mythe disparu. S’apparentant autant à une fronde, qu’à l’extrémité d’un poteau électrique, ou à une prothèse, cette forme trahit l’impossibilité de toutes réparations et la vanité de tout compromis.

d. Le Carnet bleu

En été 1986, BDR entreprend l’écriture quotidienne d’une page. Le protocole qu’il s’impose : une page par jour qui débute par le mot qui achève la page précédente lui permet de se débarrasser des problèmes de « sujet ». Conçues comme des gammes, ces pages d’écriture vont s’affirmer bientôt comme le préalable à toutes les œuvres qu’il fera par la suite. Placé entre la musique (gamme de notes) et la couleur (gamme de couleurs), le Carnet bleu est l’opérateur plastique et littéraire par excellence, car il s’agit aussi pour l’artiste de faire une belle page d’écriture, de revenir à une acception littérale de l’acte d’écriture formellement appliqué et soigné, non encombré par des problèmes de contenu
Le Carnet bleu est une pièce qui comprend une trentaine de carnets, soit 5700 pages, le rôle visuel qu’ils assument est important, ne serait-ce que par la transformation de leur aspect. L’écriture s’y faisant plus dense, plus souple, moins heurtée, plus lisible, plus formelle. Les petits carnets par leur forme, par leur disposition dans les vitrines sont autant des carnets de notes que des carnets de compte, l’écriture y est calcul et réflexion sur l’empâtement des lettres, son économie est si régulière que parfois il serait possible par une seule opération mathématique de savoir le nombre de mots qui composent la page. En d’autres occasions, l’ensemble visuel formé par les pages d’écriture et le retour du motif de la couverture cartonnée qui fait alors office de cadre pour les feuilles fait songer aux ornements des livres d’heures tenus au Moyen Age.
Le procédé de mise au carreau que les carnets promeuvent a eu dans l’histoire de l’art un rôle fondamental. Utilisé par les Egyptiens, ce procédé n’a pas du tout la même valeur en Grèce. Pour les premiers, il participe à la construction de la forme, tandis que pour les seconds, il est considéré comme un simple procédé de transfert. A la Renaissance, il permet de s’approcher au plus près d’une organisation supposée de l’espace réel par la représentation perspective.
Que dire enfin de cette couleur bleue qui semble être avec le format des carnets une exigence de l’artiste mais que l’on retrouve aussi chez Rilke qui, dans Le Testament36, signale le « calepin de cuir bleu » qu’il va mettre au feu mais dont il nous livre avant sa destruction le contenu des seules trois pages écrites, celui de l’unique exemple chez lui « d’écriture automatique ». Le bleu semblant protéger l’écriture de toute assignation fonctionnelle. Or de cette lecture plastique du Carnet bleu, quel que soit le sens que l’on accorde à l’écriture que celle-ci ait ou non une intentionnalité, elle est bien, comme l’écrit Barthes, « une morale de la forme ». On y lit des pulsions et des conflits, des positions et des oppositions. Ces textes en apparence fonctionnels dans lesquels devrait se manifester essentiellement le seul aspect dénotatif réintroduisent la présence subjective du « scripteur » et ce qui s’énonce par lui de lui. Rien ne peut empêcher, en effet, le lecteur de lire plus que ce qui est écrit. Le souci littéral que j’ai crû déceler dans l’œuvre de BDR vient du respect de la règle qu’il s’impose mais que je sais offert à la transgression, car l’art est infraction, il ne dévie pas par rapport à un code ou à une constante thématique, étant la contradiction même, il le viole et le transgresse.37
Cette écriture sans « sujet » dit bien que le Sujet BDR accepte de se perdre dans une dynamique de la dépense dont il serait le seul destinataire. Le sujet de l’écriture ou le sujet qui s’écrit se confondent un peu comme l’écrivant et l’écrivain chez Barthes. « Le premier est homme transitif et considère que sa parole met fin à une ambiguïté du monde, institue une explication irréversible, le second, « au contraire sait que sa parole est intransitive par choix et par labeur ».38

Conclusion :

Ecrire, c’est donc s’abstraire du temps présent, pour donner lieu à un autre temps où le sujet s’abîme pour atteindre un autre sujet. La littéralité est finalement l’expression de différents modes de passage : de Dieu à Moïse, dïse au Sujet, du Sujet au Verbe, de la Lettre à la lettre, de la lettre à l’être. Elle rend visible une métamorphose sans pour autant effacer le fondement, l’arché. C’est la raison pour laquelle le travail de BDR s’institue à partir d’une approche de la réalité complexifiée par des handicaps volontaires de transcription du réel - le bégaiement, les fautes d’orthographes, la contrainte de la page d’écriture quotidienne et son protocole immuable, la lecture d’un texte anglais dont l’artiste ignore la prononciation. De sorte que l’acte de reconnaissance et d’identification des manifestations du réel est toujours dépendant de distorsions physique, culturelle, sociale, économique et esthétique qui ne cessent de parler des origines.
Freud a montré, dans son Moïse, que l’identité du héros biblique, pratiquement impossible à définir, procède de diverses provenances, de différents lieux, de différents temps, et même de différentes légendes. Personnage historique et mythique, fabriqué de pièces et de morceaux et même de divers matériaux, c’est en cherchant à recoller tous ses morceaux que l’homme Moïse cherche ses mots. L’œuvre de BDR est donc œuvre mosaïque mais elle doit se lire comme une avancée prudente sur les sentiers de l’écriture. Ceux qui croient maîtriser l’espace littéraire et pouvoir franchir ses limites en seront pour leur frais et ce qu’ils penseront être de la littérature ne sera que litturaterre, rature du littéral, ou veau d’or pour people illustré.
« Lorsque j’étais enfant, écrit Barnett Newman, j’étudiais le français avec un homme, Jean-Baptiste Zacharie, qui avait coutume d’enseigner cette langue en disant : « Moi, je suis le sujet ; vous, vous êtes l’objet et voici le verbe, et il vous donnait une légère tape sur le visage ». La toile vide est un objet grammatical – un prédicat. Je suis le sujet qui peint. Le processus de la peinture, c’est le verbe. La peinture terminée, c’est la phrase entière, et c’est à cela que je m’emploie. (…) Je suis le sujet. Je suis aussi le verbe lorsque je peins, mais je suis aussi l’objet. Je suis la phrase complète ».39
Parler, c’est nécessairement se faire parole : c’est aussi se heurter à la parole40. Or tout acte d’écriture est expression du conflit du langage et de la vérité, car si le langage « premier » était véridique, le langage second n’aurait pas lieu d’être et le langage second par excellence, c’est l’écriture – c’est l’œuvre. »41. C’est à cette condition que l’on peut dire que toute écriture a une structure de fiction et la littéralité dont nous avons tenté de montrer la force dans l’œuvre de BDR est mêmement structure de fiction. Elle oblige à penser le sujet à s’absenter de son être-là pour disparaître dans une autre dimension qui serait l’être de l’écriture. Homme de l’être (lettre) ou ne peut Lettre (l’être) tout entier.
C’est d’ailleurs le postulat posé par BDR avec son installation intitulée MERCI, mot qui permet de tirer sa révérence, de même que l’autoportrait est image de BDR « mort » et laisse plus de place au Carnet, autrement dit à l’écriture. Ce MERCI est donc mot de la FIN, il n’est pas un CRIME, l’écriture n’est pas jeu avec les lettres elle n’est pas non plus jeu de mots mais lettre du JE.

1.La présence du train, dans l’oeuvre de BDR, est réelle. Elle tisse un rail conducteur dans le récit en soi, ou illustre de manière sonore le blanc entre la lecture des sonnets.
2.Le Progrès et ses correspondants locaux ( le Daubé etc.) est vivement déconseillé pour allumer un barbecue. L’encre d’imprimerie étant trop noire et trop salissante, elle risque d’altérer le goût des grillades.
3. Le trouble que peut procurer cette phrase vient du fait que Nicolas est non seulement un héros de nouvelle, mais il est aussi le récit et l’écriture du récit. C’est en sens que l’on peut parler de littéralité.
4.Tous les livres sans pagination de BDR ne procurent pas le même effet. Il y aurait d’autres analyses à faire. Ainsi dans Ismène la préoccupation du rythme théâtral se fait par l’utilisation de petits signes inventés par BDR pour accélérer les enchaînements dans un dialogue.
5.De Kooning disait, en effet, qu’il faisait de la peinture pour faire du dessin. Le dessin était chez lui, le résultat d’opérations complexes exécutées sur des papiers transparents, les éparpillant les uns sur les autres, étudiant le dessin composite qui apparaissait. Le dessin résultait finalement d’un feuilletage.
6.On sait que l’offre symbolique est telle que le pas à franchir risque d’être perçu comme sans conséquence.
7. Lacan, le Séminaire, livre 20, Encore, p. 109
8.Plus on tente de donner par l’écriture une image fidèle de l’univers et plus il se découvre que la réalité dans laquelle nous évoluons est une logosphère, un univers construit par le langage.
9.«  Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force intime de son style» Flaubert, Correspondances.
10.«  Razez-vous avec la faute d’orthographe qui coupe» Maurice Roche in Compact.
11. Autre figure mémorable du copiste, Bartleby de Melville dont il ne faut pas oublier que celui qui répond toujours I would prefer not to» eut jadis des responsabilités dans un bureau des «  dead letters» à Washington.
12.Ce n’est qu’à la fin du Moyen Âge que le terme de vulgate (vulgata editio , édition communément employée) a été restreint à la traduction latine de la Bible due à saint Jérôme. Celui-ci l’employait lui-même pour désigner la traduction grecque dite des Septante ou les anciennes traductions latines.
13.Michel de Certeau
14.«  l’allégoriste peut aussi bien être appelé «  physicien» : il voit les «  signes clairs de la nature (phusis)» réfléchis dans les mots comme dans un miroir. Il s’interdit de voir le jeu qu’il joue lui-même : car après tout pourquoi l’allégoriste se tourne-t-il vers le sens figuré, sinon parce qu’il a été contraint par la lettre elle-même, que par le législateur ( ou la phusis) lui a fait signe, par des indices. In Le Logos et la lettre, p. 55 ; Benny Lévy.
15.Leçons sur la philosophie de l’histoire.
16. Flaubert, correspondances p. 324
17.Essais critiques, p. 150,
18.Martin Buber, Moïse, p . 69 ; Freud, in L’homme Moïse et la religion monothéiste, p. 100-101.
19.Le séminaire, livre 20, Encore, p. 48.
20.Sonnet No1 «  Je ne veux point fouiller au sein de la nature»
21.Sonnet No79.
22.Sonnet 88.
23.Sonnet 88.
24.Mais la lettre n’est pas l’étymologie, elle n’a pas prétention à être l’origine de la langue, mais le moment où il ne se passe rien entre la parole et sa restitution, où ne se loge rein de ce qui pourrait troubler la vérité. C’est paradoxalement laisser toute place à l’allégoriste. c’est s’effacer au point de permettre toute licence.
25.Ginsberg était critiqué par Guy Debord comme «  crétin mystique». In Greil Marcus, Lipstick Traces 26.Allusion à Dante, cité par Ezra Pound. Pexa et hirsuta
27.Editions Al Dante
28.Ce cercle est autant microsillon que rouleau de réglisse.
29.Ecriture et espace intérieur dans les Rêveries in Rêveries sans fin. Ed. Paradigme, Orléans, 1997.
30.La couverture encadrée représentant JJR dans l’édition Folio n’est pas celle du livre qui a été choisi par BDR pour faire ce travail
31.In Jean Terrasse, op. cité, p. 84.
32.Histoire des croyances et des idées religieuses, Paris, 1978, I, 301
33.in Le logos et la lettre, p. 60.
34.La Mothe le Vayer, La Promenade, Dial. I. in Littré
35.Jean-Paul Curtay, La poésie lettriste, p. 43. Seghers, Paris, 1974.
36.notes qui dans la crainte de ne pouvoir jamais achever les Elégies de Duino, auraient été le témoignage de l’échec définitif de ces Elégies.
37. Ibidem, p. 127
38.R. Barthes, in Essais critiques, p. 151 et 152.
39.Interview with Lane Slate (1963). Barnet Newman, Frontiers of Space, p. 251.
40.Charles Malamoud, in Le Meurtre de la langue, Marie Moscovici, p. 145.
41. On pourrait lire dans cette formule proustienne, la contradiction incontournable entre littéralité et écriture. Cependant, il s’agit bien là de montrer deux type de vérité, celle qui est en l’homme :« Les prétentions de l’esprit, écrit Lacan, demeuraient irréductibles, si la lettre n’avait fait la preuve qu’elle produit tous ses effets de vérité dans l’homme, sans que l’esprit ait eu le moins du monde à s’en mêler.»






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- Dubelley (mp3)
Une lecture des Regrets de Joachim Dubelley
lu par un jeune homme bègue
- Ginsberg ( mp3)
une lecture de Kaddish d’Allan Ginsberg
lu par Bruno Di Rosa, qui, ne parle pas l’anglais
Extraits de lectures du même texte La Voix (Bruno Di Rosa) :
- Diana (mp3)
lu par un jeune holu par une chanteuse lyrique australienne
- Edgar ( mp3)
lu par un homme et transformée par des machines, une voix donc entre l’homme et la machine





Editions:
2005 Le Carnet Bleu Tome 31 ed. Incertain Sens
2001 Soliloques Revue Triage. Ed. TARABUSTE
1998 Faute de grive le merle reste seul à chanté Revue Triage
1996 Moi qui suis moi… Ed. TARABUSTE
1996 Ed io anche son pittore Ed. du Sous Sol.
1995 Perclus Ed. TARABUSTE
1992 La voix Ed. TARABUSTE
 





Interventions (Conférence/Lecture)
Mai 2007 Maison Georges Pompidou dans le Lot
Mars 2006 Le Triangle Rennes
Mai 2003 Centre Ponpidou
Fev. 2000 Ecole des Beaux Arts. Clermont Ferrant
Jan. 1999 IUFM. Paris
Nov. 1998 Ecole des beaux Arts. Mulhouse

Expositions :
Mai 2006 FriArt Fribourg Suisse
Mars 2006 Le Triangle Rennes
Février 2003 BBL Bruxelles
Octobre 2002 Festival Mettre en scène Rennes
Mars 2002 Lyon, Artothèque Bibliothèque de Lyon
jan. 1997 Grenoble, Nouvelle Galerie
juin 1996 Lyon Musée d’Art Contemporain
juin 1995 Montreuil, “Voisins et Amis”
avril 1995 Besançon, Fort Beauregard
dec. 1994 Montreuil, “Un donjon qui dérange”
nov. 1994 Paris, Musée d’Art Moderne “Ateliers de l’ARC“
sept. 1994 Odessa, “Odessa Champclose Odessa”
dec. 1992 Strasbourg, “En Mouvement”
mars 1992 Lisbonne, Institut Françaissept. 1991 Strasbourg, “Entre les Autres”
sept. 1989 Lyon, Musée d’Art Contemporain
mars 1989 Houston, “Bicentenaire de la Révolution”
nov. 1988 Lyon E.L.A.C. “Les nouveaux francs”

Création du Cabinet du Livre d’Artiste
«  Sans niveau ni mètre»
A l’Université de Rennes 2
Juin 2006
Réinstalée au lycée Victor Bach
Mars 2007
















bruno.dirosa(at)wanadoo.fr  



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